Le Fauvisme, la couleur avant tout. En 1905, au Salon d’Automne, une salle regroupa quelques peintres qui partageaient une violence chromatique inusitée. Comme dans la même salle avait été placée une sculpture de style Renaissance, le critique Louis Vauxcelles écrivit dans le Gil-Blas qu’on croyait voir là un « Donatello chez les fauves » : ce sarcasme allait devenir le nom de ce groupe d’artistes dont le chef de file était Henri Matisse ; il était entouré d’André Derain, Maurice Vlaminck, Albert Marquet, Charles Camouin, Henri Mauguin, Raoul Dufy, Kees Van Dongen, Émile-Othon Friesz, Jean Puy ; on trouvait aussi d’anciens nabis, comme Vuillard et Bonnard, et de futurs cubistes, comme Braque.
Tableau contemporain Fauviste
La couleur et le fauvisme
Van Gogh et Gauguin avaient fait l’objet de rétrospectives entre 1901 et 1905, et leur importance pour les fauves ne fait pas de doute : mais ces derniers produisent une rupture fondamentale en rejetant l’archaïque notion de « ton local » au profit d’une organisation du tableau fondée sur le pouvoir objectif de la couleur, « telle qu’elle sort du tube ».
Cette proposition fauviste signifie bien que, littéralement, la couleur existe avant tout : avant le peintre, avant son désir de peindre, avant le tableau, avant la réalisation de la peinture. Cette antériorité affirmée de la couleur par rapport à l’individu qui en use n’est d’ailleurs pas sans rappeler la proposition du linguiste Ferdinand de Saussure, déclarant l’antériorité radicale du langage par rapport au sujet parlant.
Avant sa désagrégation en 1907, consécutive à l’émergence du Cubisme, le Fauvisme brisait le pouvoir de référence de la figure : l’abandon du ton local impose en effet à l’artiste peintre — et au spectateur — d’établir et d’accepter une autre logique de l’espace pictural ; c’est la couleur, longtemps tenue sous tutelle par le dessin dans la théorie classique, qui devenait la référence majeure.
André Derain et Maurice Vlaminck partageaient dans l’île de Chatou, dans la banlieue ouest de Paris, un atelier qui est le berceau du Fauvisme.
Derain avait fréquenté l’atelier d’artiste de Carrière — un peintre symboliste — où il avait fait la connaissance de Matisse, et s’intéressait à l’art classique et à la tradition de la grande peinture. Vlaminck, en revanche, était hostile aux musées, aux écoles et à l’ordre établi.
La véhémence avec laquelle il étale une matière épaisse aux couleurs denses n’est jamais gratuite : dans Maisons à Chatou, où les touches noires sillonnent le champ d’où les arbres se détachent à peine, le rouge et le bleu empêchent la profondeur de creuser la toile ; en revanche, dans tes Rives de la Seine à Carrière, où les plans successifs ne sont que superposés, la couleur des arbres les maintient au premier plan.
Si Vlaminck s’est toujours réclamé de Van Gogh, Derain emprunte en revanche à Gauguin la construction de la toile par aplats, comme le montre le Port de Collioure — où il a travaillé en 1905 avec Matisse ; la même densité de matière se retrouve dans la manière de peindre la mer ou le quai ; la forme des plans de la théorie Fauviste indique la profondeur de champ sans que jamais ne soit sacrifiée la planéité du tableau coloré, sans cesse réaffirmée par la dispersion des couleurs : le vert de certaines proues rejoint celui des prés en haut de la toile, le rouge reprend celui des toits des maisons, relayé par les mâts, etc.
Derain se lie avec Picasso et les cubistes, mais n’en partagera jamais vraiment les préoccupations.
Enfin, dans les années 20, il se détachera du fauvisme et se ralliera à l’ample courant monumental et bucolique qui se développa sous le nom de « Retour à l’Ordre ».